Laurent Pelé, France-Soir
Affaire Brigitte Macron : analyse de l'arrêt de la cour d'appel relaxant Natacha Rey et Amandine Roy
Marin AFP
Résumé
C'est l'arrêt de 32 pages rendu le 10 juillet 2025 par la cour d'appel de Paris dans l'affaire opposant Brigitte Macron et son frère Jean-Michel Trogneux à Natacha Rey et Amandine Roy qui est analysé ci-après.
Face aux nombreuses informations erronées relayées par certains médias, cet article vise à clarifier les tenants et aboutissants de cette décision. Brigitte Macron et Jean-Michel Trogneux avaient porté plainte pour diffamation contre Natacha Rey, se présentant comme journaliste amateure, et Amandine Roy (pseudonyme), médium, à la suite d'une vidéo YouTube de plus de quatre heures publiée le 10 décembre 2021, depuis censurée. Dans cette vidéo, Natacha Rey avançait que Brigitte Macron et Jean-Michel Trogneux seraient une seule et même personne, suggérant que Brigitte Macron aurait menti sur son identité et effectué une transition de genre. Elle évoquait également la différence d'âge entre Brigitte et Emmanuel Macron, insinuant un détournement de mineur. En première instance, Natacha Rey et Amandine Roy avaient été reconnues coupables de diffamation et condamnées à :
- Verser 13 000 euros de dommages et intérêts à Brigitte Macron et Jean-Michel Trogneux ;
- Payer 3 000 euros pour les frais d'avocat ;
- Régler chacune une amende de 500 euros avec sursis.
Les deux prévenues ayant fait appel, la cour d'appel a infirmé ce jugement et les a relaxées. Cet article analyse les motifs de cette décision, examine si l'arrêt statue sur la véracité des allégations, et évalue les chances de succès du pourvoi en cassation formé par Brigitte Macron, Jean-Michel Trogneux et le ministère public.
Note de l'auteur : « je précise d'emblée que je ne crois pas aux allégations selon lesquelles Brigitte Macron aurait changé de sexe. Cependant, cette affaire suscitant des passions, je m'efforce de l'analyser avec objectivité. »
Contexte procédural et demande d'audition de Marlène Schiappa
Pour un compte-rendu détaillé de l'audience en appel, reportez-vous à l'article de France-Soir intitulé « Audience en appel de Natacha Rey et Delphine Jégousse : un procès sous tension face à Brigitte Macron et Jean-Michel Trogneux ».
La défense soutient que Brigitte Macron et Jean-Michel Trogneux seraient une seule personne. Les deux parties civiles, représentées par le même avocat et domiciliées à son adresse, ne se sont pas présentées à l'audience. La défense conteste la validité des preuves de l'existence de Jean-Michel Trogneux, à savoir une carte d'identité périmée et une carte électorale sans photo.
Lors des audiences des 14 et 15 mai 2025, l'affaire a été mise en délibéré. Cependant, Me François Danglehant, avocat de Natacha Rey, a demandé la réouverture des débats pour entendre Marlène Schiappa, qui, le 28 mai 2025, avait publiquement affirmé détenir des « informations précises sur le décès de Jean-Michel Trogneux ». Le 7 juillet 2025, Me Ennochi, avocat des parties civiles, a clarifié que Marlène Schiappa avait confondu Jean-Michel Trogneux avec son frère aîné, Jean-Claude Trogneux. Me Danglehant a lui-même reconnu, le 30 mai 2025, l'erreur de Mme Schiappa. L'arrêt, au paragraphe 30, rejette la demande de réouverture des débats à la vue de ces explications.
ATTENTION, vidéo manipulation publiée par Xavier Poussard, le frère décédé est Jean-Claude Trogneux, qui est le frère ainé de Brigitte Macron et non Jean-Michel Trogneux ---- PARTAGEZ MASSIVEMENT MANIPULATION DE XAVIER POUSSARD ---- pic.twitter.com/Hhsva1hQPi— françois danglehant (@FDanglehan56893) May 30, 2025
Analyse de la diffamation
La cour d'appel commence par rappeler les conditions pour qualifier des propos de diffamatoires : ils doivent imputer des faits précis, portant atteinte à l'honneur ou à la considération, et susceptibles d'être prouvés ou débattus de manière contradictoire.
Les opinions ou les propos vagues ne peuvent être considérés comme diffamatoires. En cas de diffamation, trois issues sont possibles :
- Le prévenu prouve la véracité des faits et est relaxé.
- Le prévenu a agi de bonne foi (enquête sérieuse, ton mesuré) et est relaxé.
- À défaut, la culpabilité est établie.
Les propos reprochés à Amandine Roy
Les accusations contre Amandine Roy reposent sur des propos brefs et peu précis, souvent en appui à ceux de Natacha Rey.
La cour d'appel a examiné chaque propos visé par l'ordonnance de renvoi et a rejeté la plupart des charges, estimant qu'ils étaient trop vagues pour constituer une diffamation ou qu'ils se contentaient de relayer les déclarations de Natacha Rey, elles-mêmes jugées non diffamatoires. Amandine Roy jouant un rôle secondaire, nous nous concentrons sur les allégations principales portées par Natacha Rey.
Allégations de modification de l'état civil de Brigitte Macron
La cour considère que les propos selon lesquels Brigitte Macron aurait modifié son état civil à la suite d'une transition de genre ne portent pas atteinte à son honneur, car ils précisent que cette modification aurait été légale. Ces propos ne sont donc pas diffamatoires, et la cour n'a pas examiné leur véracité.
Allégations de mensonge sur l'identité
Natacha Rey et Amandine Roy ont affirmé que Brigitte Macron aurait menti sur son identité et son sexe. La cour estime que ces allégations ne portent pas atteinte à son honneur, car elles n'impliquent pas une falsification d'état civil. Elle ajoute : « Il ne saurait être reproché à une personne transgenre de vouloir protéger sa vie privée et conserver le secret sur sa transition de genre. » Cette phrase, qui sera discutée plus loin, peut prêter à confusion.
Allégations de dissimulation d'une transition de genre
Amandine Roy utilise les termes « fausseté » et « escroquerie » pour qualifier la supposée transition de genre de Brigitte Macron. La cour écarte la diffamation, estimant que ces propos ne relèvent pas de l'escroquerie au sens juridique et ne portent pas atteinte à l'honneur, réitérant qu'il est légitime de dissimuler une transition de genre.
Allégations sur le mariage avec André-Louis Auzière
Natacha Rey a nié que Brigitte Macron ait été mariée à André-Louis Auzière, ce qui contredit sa thèse d'une transition de genre. Les parties civiles ont produit un acte de mariage et un jugement de divorce. La cour juge que nier ce mariage ne porte pas atteinte à l'honneur, car aucune falsification d'état civil n'a été explicitement alléguée.
Allégations sur une profession de foi électorale mensongère
Natacha Rey et Amandine Roy ont évoqué un tract électoral falsifié ou une photo mensongère dans une profession de foi de Brigitte Macron. La cour rejette la diffamation, estimant que ces allégations sont trop contradictoires ou imprécises.
Allégations de détournement de mineur : diffamatoire mais la cour retient la bonne foi des prévenues
La cour considère que les accusations selon lesquelles Brigitte Macron aurait détourné un mineur (Emmanuel Macron) sont diffamatoires. Cependant, elle relaxe les prévenues en retenant leur bonne foi.
Selon l'arrêt, elles n'ont pas agi par animosité personnelle, ne sont pas journalistes professionnelles, et leurs propos s'inscrivent dans un débat public relayé par d'autres publications, comme Faits et Documents. La cour estime qu'elles disposaient d'une base factuelle suffisante, ces publications ayant déjà évoqué un détournement de mineur sans être poursuivies. Ce débat est jugé d'intérêt général, protégé par la liberté d'expression (article 10 de la CEDH).
Suite 1
Suite 2
Quelle vérité judiciaire sur la transition de genre alléguée ?
Certains médias ont rapidement affirmé que la relaxe ne validait pas les thèses des prévenues. Qu'en est-il réellement ?
La cour d'appel a jugé que la plupart des propos n'étaient pas diffamatoires, soit parce qu'ils étaient trop vagues, soit parce qu'ils ne portaient pas atteinte à l'honneur, soit parce que les prévenues ont agi de bonne foi. Elle n'a jamais statué explicitement sur la véracité des allégations.
Cependant, l'arrêt ne réfute pas non plus fermement les thèses de Natacha Rey. Au paragraphe 120, il note que les pièces des parties civiles « mettent en évidence les incohérences et faiblesses » de ces allégations, un langage mesuré qui contraste avec les termes virulents de certains médias qualifiant ces thèses de « fake news transphobes ».
Le paragraphe 121, où la cour déclare qu'« il ne saurait être reproché à une personne transgenre de vouloir protéger sa vie privée », peut prêter à confusion. Deux interprétations sont possibles :
- La cour fait une remarque générale sur le droit des personnes transgenres à protéger leur vie privée, sans se prononcer sur le cas de Brigitte Macron.
- La cour sous-entend que Brigitte Macron pourrait être concernée par cette situation.
Je penche pour la première interprétation : la cour formule un principe général sans statuer sur la réalité des faits, son rôle se limitant à évaluer si les propos portent atteinte à l'honneur.
Chances de succès du pourvoi en cassation
Brigitte Macron, Jean-Michel Trogneux et le ministère public ont formé un pourvoi en cassation les 10 et 11 juillet 2025. Les moyens de ce pourvoi ne sont pas encore connus, ce qui impose une grande prudence dans l'évaluation des chances de succès.
La Cour de cassation ne réexamine pas les faits, mais vérifie l'application correcte de la loi et l'absence de dénaturation des propos poursuivis. Voici une analyse des points clés :
- Bonne foi dans l'accusation de détournement de mineur : l'argumentation de la cour d'appel, bien que parfois fragile, repose sur une motivation solide, notamment l'intérêt général et la liberté d'expression (article 10 de la CEDH). Un renversement semble peu probable.
- Modification légale de l'état civil : la cour a jugé que ces propos ne portaient pas atteinte à l'honneur, car légaux. Cette position pourrait être contestée, mais elle s'aligne sur une certaine logique juridique.
- Dissimulation d'identité : la cour a estimé que taire une transition de genre ne portait pas atteinte à l'honneur. Cette argumentation générale pourrait être jugée insuffisamment liée au cas particulier, mais la Cour de cassation ne peut reprocher à la cour d'appel de ne pas avoir vérifié la réalité des faits, car cela dépasse son rôle.
Compte tenu de la diversité des propos poursuivis et de leur interprétation, les chances de succès du pourvoi paraissent limitées. Une cassation partielle sur des points spécifiques est envisageable, cependant elle n'entraînerait pas automatiquement une condamnation. L'affaire serait alors renvoyée devant une autre cour d'appel, où les prévenues pourraient de nouveau invoquer leur bonne foi.
À titre de précédent, Emmanuel Macron avait perdu un procès en diffamation devant la Cour de cassation contre l'afficheur satirique Michel Flori, ce qui suggère une approche stricte en matière de liberté d'expression.
Suites judiciaires
Me François Danglehant, avocat de Natacha Rey, a réclamé 500 000 euros de dommages et intérêts et 75 000 euros pour frais d'avocat. Cette demande a été rejetée, car l'article 475-1 du Code de procédure pénale limite ces indemnisations aux parties civiles. Pour obtenir réparation, Natacha Rey devrait engager une procédure pour dénonciation calomnieuse après une relaxe définitive.
Par ailleurs, Natacha Rey a contre-attaqué en poursuivant Brigitte Macron et Jean-Michel Trogneux pour « escroquerie au jugement », arguant qu'elle aurait été condamnée en première instance pour des faits non poursuivis.
Conclusion
Cette affaire, complexe et médiatisée, soulève des questions juridiques et sociétales, notamment sur la diffamation et la liberté d'expression. Dire d'une femme qu'elle est un homme ou son frère porte-t-il atteinte à son honneur ? Les décisions judiciaires divergent, et l'arrêt de la cour d'appel ne tranche pas ces questions de fond.
Le pourvoi en cassation pourrait relancer les débats, mais il risque également d'alimenter la polémique. Cette affaire, loin d'être close, continuera de susciter des interrogations sur les limites du droit et de la liberté d'expression.